Tax alert 31 janvier 2019

Arrêt rendu dans l’affaire Morgan Stanley, le 24 janvier 2019 – Vers une multiplication des proratas de déduction de TVA dans le secteur bancaire

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu sa décision sur l’affaire Morgan Stanley le 24 janvier 2019. Nous avions commenté les conclusions dans notre Tax Alert en date du 18 octobre 2018 « Conclusions rendues dans l’affaire Morgan Stanley, le 3 octobre 2018 : « Quel droit à déduction pour la succursale d’une société dont le siège est établi dans un autre Etat membre ? ». 

Pour mémoire, la succursale française de la société Morgan Stanley réalisait des opérations bancaires et financières pour ses clients locaux et fournissait des prestations de services à son siège en Angleterre en contrepartie desquelles elle recevait des virements. La succursale française avait déposé une option pour assujettir ses prestations exonérées à la TVA.

Celle-ci a donc déduit l’intégralité de la TVA ayant grevé les dépenses afférentes à ces prestations.

L’administration fiscale a remis en cause la déduction de la TVA encourue sur les dépenses liées aux services rendus au siège britannique en considérant que les opérations internes ainsi réalisées étaient situées hors du champ d’application de la TVA.

Le Conseil d’Etat a été saisi d’un pourvoi par la société Morgan Stanley contre l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Versailles (27 janvier 2015). Le Conseil d’Etat a rappelé la solution dégagée par l’ordonnance du 21 juin 2016, ESET (C-393/15, non publiée) et a estimé que les dépenses engagées exclusivement pour des opérations internes réalisées avec le siège ne sont pas hors champ de la TVA et ouvrent droit à déduction.

Le Conseil d’Etat a toutefois sursis à statuer afin d’obtenir des précisions quant aux modalités de détermination du prorata de déduction. Il a ainsi demandé à la CJUE quel prorata de déduction doit être pris en compte :

  • Celui applicable dans l’Etat membre d’immatriculation de la succursale ;
  • Celui de l’Etat membre du siège ;
  • Ou un prorata spécifique, mixte, prenant en compte les règles applicables par les deux Etats membres ?

L’Avocat général, dans ses conclusions en date du 3 octobre 2018, avait proposé de combiner les règles de prorata de déduction applicables, d’une part dans l’Etat membre d’immatriculation de la succursale et, d’autre part dans l’Etat membre du siège.

La Cour n’a pas suivi les conclusions de l’avocat général, et a rendu la solution suivante en distinguant selon le type de dépenses :

  1. Pour les dépenses de la succursale affectées exclusivement à des opérations réalisées par le siège établi dans un autre Etat membre : la TVA est déductible à hauteur d’un prorata de déduction déterminé de la manière suivante :
  • Au numérateur:  le montant des opérations taxées qui ouvriraient doit à déduction si elles étaient effectuées dans l’Etat membre d’immatriculation de la succursale, y compris lorsque ce droit à déduction résulte de l’exercice d’une option pour la TVA exercée par cette dernière.
  • Au dénominateur: le montant de l’ensemble des opérations taxées et exonérées du siège auxquelles sont affectées les dépenses.
  1. Pour les dépenses ayant la nature de frais généraux: c’est-à-dire, les dépenses affectées aux opérations de la succursale dans son Etat membre d’immatriculation (i.e. la France) et aux opérations de son siège réalisées dans un autre Etat membre (i.e. le Royaume-Uni), le prorata de déduction est le suivant :
  • Au numérateur:
    • Les opérations taxées effectuées par la succursale ;
    • Les seules opérations taxées du siège qui ouvriraient droit à déduction si elles étaient effectuées dans l’EM d’immatriculation de la succursale.
  • Au dénominateur:
    • Les opérations réalisées par la succursale ;
    • Et les opérations réalisées par le siège.

 

Nous précisons que ces modalités de calcul concernent uniquement le prorata de déduction de la succursale. Le prorata du siège reste quant à lui soumis aux règles de son Etat d’établissement.

Cette décision s’ajoute aux différentes jurisprudences européennes en matière de traitement TVA des relations entre le siège et sa succursale dans un contexte transfrontalier (CJUE, 23 mars 2006, C-210/04, FCE Bank ; CJUE, 12 septembre 2013, C-388/11, Crédit Lyonnais ; CJUE 17 septembre 2014, C-7/13, Skandia ; CJUE, 21 juin 2016, C-393/15, ESET), tout en laissant encore de nombreuses questions en suspens.

En effet, la Cour ne se prononce pas sur la situation dans laquelle la succursale ne rend des prestations qu’à des clients français, néanmoins, il nous semble que les règles de déduction françaises devraient alors être applicables à cette situation (pas d’impact financier négatif).

Par ailleurs, dans la mesure où l’arrêt n’envisage pas l’hypothèse où le siège est établi en dehors de l’Union Européenne, il convient également de s’interroger sur les conséquences du Brexit pour les sociétés dont le siège est établi au Royaume-Uni.

En dépit de ces incertitudes, les Sociétés concernées par une telle organisation doivent prendre rapidement la mesure de l’impact qu’aura cette décision sur leur droit à déduction et, le cas échéant, procéder à des régularisations.

L’affaire devrait revenir prochainement devant le Conseil d’Etat qui rendra un arrêt au regard de la réponse apportée par la CJUE.

Veuillez noter que cette décision devrait impacter principalement les entreprises exerçant une activité financière en raison des différents régimes applicables au sein des Etats membres (possibilité d’option pour la TVA ou non).