Tax alert 31 mai 2018

Possibilité de déduire la TVA d’amont en cas d’échec ou d’abandon de l’opération taxable

Récemment, les juridictions française et communautaire sont (ou seront) amenées à statuer sur le sort du droit à déduction de la TVA grevant des frais lorsque les opérations afférentes à ces frais ne sont finalement pas réalisées ou ultérieurement annulées, en raison de circonstances indépendantes de la volonté des parties.

Aux termes de l’article 168 de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (« la Directive TVA »), transposé sous les articles 271 et suivants du Code général des impôts, la déduction de la TVA suppose que les dépenses grevées de TVA soient affectées aux besoins d’opérations taxables. Le critère à retenir en la matière est le critère du « lien direct et immédiat » entre les dépenses d’amont soumises à TVA et les opérations taxées [1].

Ce texte a fait l’objet de précisions par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Celle-ci retient que « le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques […] quels que soient les buts ou les résultats de ces activités » [2].

Ainsi la Cour a-t-elle pu justifier la déduction de la TVA ayant grevé des frais préparatoires exposés dans le cadre d’une activité économique future, pour peu que cette activité future constitue une activité soumise à TVA [3].

Dans ce contexte, il a été jugé que l’absence d’identification à la TVA en raison du commencement de l’activité ne doit pas priver l’assujetti de son droit à déduction, car « le principe de neutralité interdit de distinguer entre les dépenses d’investissement effectuées avant l’exploitation effective d’une entreprise et celles réalisées au cours de ladite exploitation »[4]. De là, la Cour en déduit que le droit à déduction ne peut être refusé a posteriori si l’activité ayant généré des frais a finalement été abandonnée [5].

Il en découle que le droit à déduction ne doit pas être soumis à une autre condition que l’affectation des dépenses aux besoins des opérations taxables, peu important que ces opérations ne soient in fine pas menées à leur terme.

Ce courant de jurisprudence communautaire semble dès lors justifier la position retenue par la Cour administrative d’appel de Nancy dans un arrêt Le Clos des Vignes du 18 mai 2018. Celle-ci a admis le maintien de la déductibilité de la TVA récupérée 6 ans auparavant lors de la conclusion d’une VEFA, dont le contrat a été ultérieurement annulé (l’immeuble nouvellement construit était impropre à la destination pour laquelle il était prévu). L’administration fiscale avait refusé de rembourser le crédit de TVA né du reversement du prix de vente au vendeur au motif que la résolution de l’opération immobilière ne saurait pas conférer un droit au maintien de la déduction de la TVA d’amont. Tel n’est pas l’avis de la Cour d’appel, qui rappelle que, quand l’on se situe hors des cas de régularisation, la TVA ayant grevé des dépenses est déductible si ces dépenses sont exposées dans le cadre de l’activité taxable de l’assujetti. Elle ajoute que le droit à déduction reste acquis même s’il s’avère qu’à terme, l’assujetti ne réalise pas les opérations qu’il envisageait en raison d’événements extérieurs à sa volonté, et en l’absence d’intentions frauduleuses ou abusives [6].

Cette solution française doit être mise en perspective avec les conclusions de l’Avocat Général Kokott rendues dans l’affaire Ryanair Ltd, le 3 mai 2018, et portant sur la déductibilité de la TVA grevant des frais de conseil exposés dans le cadre d’une opération d’acquisition de titres finalement non réalisée. Celle-ci estime que seule doit être prise en compte l’intention d’exercer une activité économique. Ainsi, lorsque les dépenses initiées dans le cadre de l’activité l’étaient dans le but de poursuivre une activité économique, la TVA les ayant grevées doit rester déductible [7].

Ces positions apportent une certaine sécurité juridique tant attendue des contribuables qui doivent faire face aux aléas de la vie des affaires.

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[1] CJCE, 06 avril 1995, aff. C-4/94, BLP Group, repris et confirmé, notamment dans CJCE, 08 juin 2000 aff. C-98/98, Midland Bank ; CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National ; CJCE, 27 septembre 2001, aff. C-16/00, Cibo Participations

[2] CJCE, 14 févier 1985, aff C.268/83, Rompelman

[3] CJCE, 9 février 1996, aff. C-110/94, INZO, repris dans CJUE, 21 novembre 2017, aff. C-441/16, SMS Group GmbH

[4] CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-385/09, Nidera

[5] CJCE, 15 janvier 1998, aff. C-37/95, Ghent Coal Terminal NV

[6] CAA Nancy, 18 mai 2018, n°17NC01790, SCI Le Clos des Vignes (A préciser néanmoins qu’en l’état actuel de la décision, rien n’indique que celle-ci ait fait l’objet d’un pourvoi.)

[7] CJUE, 3 mai 2018, aff. C-249/17, Ryanair Ltd, concl. J. Kokott