Tax alert 22 juin 2018

La C3S, l’immortelle ?

Alors même que la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) devait être supprimée à compter de 2017, le contentieux soulevé devant la CJUE rappelle que la C3S est loin de la fin.

Si la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de trancher la question de la prise en compte des transferts assimilés à des livraisons intracommunautaires dans la base imposable à la C3S, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a confirmé, le 14 juin 2018, que cette position était conforme au droit de l’Union européenne.

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Pour mémoire, selon les dispositions de l’article D.651-1 du Code de la sécurité sociale, l’assiette de la C3S est composée du chiffre d’affaires déclaré à l’administration fiscale l’année précédente celle du paiement de la contribution. En pratique, la base imposable à la C3S due en N est déterminée par le chiffre d’affaires reporté sur les lignes 01, 04, 05 et 06 des déclarations CA3 déposées en N-1.

L’article 256 du CGI assimile à des livraisons intracommunautaires de biens les transferts de stocks intracommunautaires. En pratique, ces transferts sont à reporter sur la ligne 06 « livraisons intracommunautaires » des CA3 de sorte qu’ils sont, de facto, pris en compte dans la base imposable à la C3S.

Sur ce point précis, la Cour de cassation a déjà estimé que les transferts de stocks assimilés à des livraisons intracommunautaires constituent un élément de l’assiette de la C3S [1].

Saisie d’un nouveau contentieux, la Cour de cassation a posé une question préjudicielle à la CJUE afin de valider la conformité au droit de l’Union européenne de cette prise en compte desdits transferts de stocks [2].

Dans ses conclusions du 31 janvier 2018, l’Avocat Général Mengozzi [3] analysait la question au regard de l’interdiction des taxes d’effet équivalent à des droits de douane [4].

L’Avocat Général considérait que constitue une taxe d’effet équivalent prohibée au sens des articles 28 et 30 du TFUE toute charge pécuniaire infligée en raison de l’entrée ou de la sortie de biens du territoire et qui s’analyserait comme un droit de douane, peu important sa dénomination [5].

Il en découlait, selon l’Avocat Général, qu’inclure la valeur des transferts de stocks assimilés à des livraisons intracommunautaires dans l’assiette de la C3S reviendrait à imposer unilatéralement des marchandises en raison de leur passage de la frontière, ce qui serait contraire au droit de l’Union européenne.

Néanmoins, dans sa décision du 14 juin 2018, la CJUE, tout en reprenant le raisonnement de l’Avocat Général, estime que la prise en compte des transferts assimilés à des livraisons intracommunautaires dans l’assiette de la C3S, au moment desdits transferts, est conforme au droit de l’Union européenne à la condition que :

  • Lors de la vente dans l’autre Etat membre, la valeur des biens ne soit pas prise en compte une nouvelle fois dans l’assiette de la C3S.

Afin d’éviter une double imposition, seul le transfert initialement réalisé est à inclure dans l’assiette de la C3S.

La CJUE opère une différence de traitement entre les transferts réalisés entre deux Etats membres de l’Union européenne, à prendre en compte dans l’assiette de la C3S au moment dudit transfert et les transferts en droit interne, à prendre en compte dans l’assiette de la C3S au moment de la vente. [6]

  • L’assiette de la C3S soit minorée lorsque les biens transférés n’ont pas vocation à être vendus, ou sont retournés en France sans avoir été vendus.

Ce n’est que dans l’hypothèse où les biens ne seraient finalement pas vendus que l’assiette de la C3S pourrait être minorée du montant du transfert. Néanmoins en pratique, le redevable se retrouve contraint d’avancer un montant de contribution sur du chiffre d’affaires qui ne se réalisera sans doute jamais

  • Les avantages résultant de l’affectation desdites contributions ne compensent pas intégralement la charge supportée par le produit national commercialisé sur le marché national lors de sa mise sur le marché.

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La réponse donnée par la Cour est selon nous critiquable dans la mesure où elle entraine l’application de la C3S à des ventes qui in fine ne sont pas réalisées sur le territoire français mais dans un autre Etat membre.

En réalité, un transfert ne constitue pas du chiffre d’affaires pour celui qui le réalise. Le report de ces transferts de stocks en ligne 06 des CA3 est lié à la volonté des Etats membres de s’assurer du suivi fiscal des livraisons sans transfert de propriété entre les Etats membres.

La prise en compte des transferts de stock assimilés à des livraisons intracommunautaires dans l’assiette de la C3S entraine l’application d’une contribution sur du chiffre d’affaires situé en dehors du champ d’application de la TVA française, alors même que des ventes dites « étranger sur étranger » ou des « transferts à l’exportation » non constitutives de chiffres d’affaires sont exclus des déclarations CA3 et de la base imposable à la C3S.

En conséquence, une différence de traitement est appliquée entre les transferts de stocks internes à la France et à destination d’un Etat situé en dehors de l’Union européenne et ceux à destination d’un autre Etat membre de l’Union européenne, seuls les derniers devant figurer sur les CA3 et donc entrer dans l’assiette à la C3S.

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[1] Cass. civ. 2è, 7 novembre 2013, n° 12-25.77, Société Soitec
[2] Cass. civ. 2è, 19 janvier 2017 n° 15-26.723, Société Lubrizol France
[3] CJUE, 31 janvier 2018, aff. C-39/17, Lubrizol France SAS c. RSI, concl. P. Mengozzi
[4] Articles 28 et 30 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
[5] CJCE, 14 décembre 1962, aff. jointes C-2/62 et C-3/62, Commission c. Luxembourg et Commission c. Belgique
[6] CJUE, 14 juin 2018, aff. C-39/17, Lubrizol France SAS c. RSI